Psychologie

Travailler seul n’est pas toujours un choix pleinement conscient. Pour certaines personnes, cette solitude professionnelle se présente comme une évidence, une manière de préserver leur liberté, leur tranquillité, leur efficacité. Mais derrière ce mode de fonctionnement apparemment maîtrisé se cache parfois une stratégie de retrait plus défensive, fondée sur la peur d’être vu, jugé ou exposé. L’environnement professionnel collectif devient alors menaçant, non pas en lui-même, mais parce qu’il réactive une blessure plus ancienne : celle de la honte.

Se protéger du regard, même au prix de l’isolement

Certaines trajectoires professionnelles en solitaire sont motivées par la peur de la visibilité. Être vu, c’est risquer d’être mal vu, d’être insuffisant, inadapté, ridicule. Le collectif active une tension intérieure liée à la performance, à la comparaison, au regard des autres. Travailler seul permet d’éviter cette pression constante. On se met à distance, on contrôle l’environnement, on limite les interactions. Mais cette posture n’est pas sans coût : l’isolement relationnel, le manque de stimulation externe, l’absence de reconnaissance partagée. La stratégie défensive devient un piège discret, où la sécurité obtenue se paye d’un appauvrissement du lien et de la subjectivité.

Une honte ancienne déguisée en préférence

Ce repli peut masquer une honte qui n’a jamais été pensée. Il ne s’agit pas forcément d’une faute ou d’un échec manifeste, mais d’un sentiment global d’insuffisance, ancré profondément. Être seul permet de ne pas risquer que cette honte soit réveillée par l’interaction, par le regard potentiellement critique d’un autre. La solitude professionnelle devient alors un mode de protection identitaire. On affirme qu’on “fonctionne mieux seul”, mais ce fonctionnement est aussi une manière d’éviter un retour d’affects douloureux, liés à des moments d’exposition infantile mal vécus. Le retrait est moins un choix qu’un mécanisme, moins une préférence qu’un évitement.

Exemple : Julien, 36 ans, “tranquille” mais figé

Julien, 36 ans, travaille seul depuis plusieurs années. Il est graphiste indépendant et ne souhaite plus “rendre de comptes à personne”. Il explique qu’il aime sa tranquillité, mais avoue aussi qu’il n’a pas parlé à un collègue depuis des mois. En thérapie, il évoque des souvenirs d’école où il avait été humilié lors d’exposés, des moqueries répétées sur sa manière de parler ou de se tenir. Il comprend que son repli professionnel est une manière de ne plus revivre cette exposition violente. Il commence à envisager des formes de collaboration ponctuelle, choisie, où il pourrait exister autrement dans le regard de l’autre. Il ne s’agit pas de renoncer à son indépendance, mais de ne plus en faire une forteresse.

Vers une visibilité tolérable

La solitude professionnelle peut être féconde lorsqu’elle est choisie. Mais lorsqu’elle devient une manière de se soustraire au regard, elle enferme. Apprivoiser l’idée d’être vu sans danger, reconnu sans être évalué, permet de transformer peu à peu ce retrait en présence. Il ne s’agit pas forcément de revenir au collectif à tout prix, mais de retrouver une marge de manœuvre entre l’exposition totale et l’invisibilité. C’est dans cette zone intermédiaire que le travail peut redevenir un lieu de lien, de confiance et de construction de soi.

Trouver un psy