Psychologie

Jouer un rôle, c’est toujours s’éloigner un peu de soi. Mais quand ce geste devient quotidien, professionnalisé, répété, la porosité entre soi et le personnage peut devenir un terrain glissant. Certains comédiens parlent d’une ouverture, d’un agrandissement intérieur. D’autres, au contraire, décrivent des moments de dérive, où la frontière entre identité et jeu devient trouble. Le théâtre, espace de transformation, exige un équilibre psychique fin : savoir sortir de soi sans s’y dissoudre, prêter son corps sans le perdre, faire place sans s’absenter.

Un terrain sensible mais fécond

L’incarnation théâtrale mobilise des zones profondes : mémoire émotionnelle, gestes anciens, voix enfouies. Ce qui est convoqué pour jouer ne repart pas toujours aussi simplement. Le comédien ne simule pas, il traverse. Et ces traversées, si elles sont mal contenues ou trop répétées, peuvent éroder certaines repères internes. Ce n’est pas le théâtre qui rend instable, mais l’absence de structure autour de l’instabilité qu’il provoque. Un personnage intense, une pièce lourde, un rythme effréné peuvent ouvrir des failles. Il faut alors des ressources psychiques solides pour ne pas se désorganiser intérieurement.

Le risque de la confusion identitaire

Il arrive que le comédien ne sache plus très bien ce qui, en lui, appartient au jeu ou à lui-même. Certains adoptent inconsciemment des postures, des manières d’être qui viennent de rôles passés. D’autres ressentent des décalages avec leur entourage, comme si une part d’eux était restée “ailleurs”. Ce flou identitaire n’est pas rare. Il reflète une perméabilité propre à l’art de l’incarnation. Mais sans un travail de retour à soi, il peut engendrer une fatigue mentale, un sentiment de dispersion ou une perte de stabilité intérieure. Être plusieurs, au théâtre, suppose de savoir qui revient une fois la scène quittée.

L’exemple d’Éric, pris entre deux registres

Éric, 41 ans, enchaîne deux spectacles très différents. Dans l’un, il est un personnage solaire, dans l’autre, une figure torturée. À force de passer de l’un à l’autre sans pause, il commence à se sentir instable, irrité, morcelé. Il confie que ses proches ne le reconnaissent plus. Ce ne sont pas les rôles qui l’envahissent, mais la vitesse de transition, l’absence de repère fixe. Il consulte un thérapeute qui l’aide à repérer les états émotionnels associés à chaque rôle, à ritualiser l’entrée et la sortie de scène. Cette régulation lui permet de continuer à jouer sans se perdre.

Une pratique qui exige une conscience de soi

Le théâtre ne se contente pas d’exposer des personnages : il travaille en profondeur la subjectivité de celui qui les incarne. Sortir de soi peut être une richesse, mais aussi une faille. C’est pourquoi la pratique du jeu demande autant de lucidité que de talent. Le comédien n’est pas une page blanche : il est un organisme traversé, habité, parfois débordé. Se préserver dans ce mouvement implique de construire des appuis intérieurs, des temps de vide, des retours au silence. C’est là que se joue l’équilibre : pouvoir sortir de soi… sans jamais s’y perdre.

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