Sortir du déni de soi : quand le licenciement met fin à une fidélité toxique

On parle souvent du licenciement comme d’une perte, un traumatisme, une injustice. Mais dans certaines histoires de vie, cet événement marque aussi une rupture nécessaire. Une coupure qui met fin à une fidélité invisible, à une forme d’oubli de soi devenu insupportable. Car certains emplois ne sont pas choisis : ils rejouent, à l’insu de la personne, une loyauté ancienne. Le licenciement vient alors révéler ce qui, depuis longtemps, n’était plus vivable.
Un emploi qui prolonge une place familiale
De nombreuses personnes s’investissent dans des fonctions où elles prennent en charge, réparent, organisent, apaisent. Des métiers dans lesquels elles se sentent utiles, mais aussi absorbées. Sans s’en rendre compte, elles reproduisent le rôle qu’elles occupaient dans leur famille d’origine. L’aînée qui devait tout tenir, l’enfant silencieux qui ne dérange pas, celle qui faisait toujours passer les autres avant elle. Le travail devient alors l’espace où s’exerce cette fidélité muette. Mais à force de se nier soi-même, quelque chose finit par casser.
Le licenciement comme point d’arrêt symbolique
Être licenciée dans ce contexte peut sembler d’abord injuste, voire violent. Pourtant, ce geste extérieur vient parfois faire ce que la personne n’osait pas faire elle-même : mettre fin à une position d’effacement. Le choc ouvre alors une faille salutaire. Elle permet de regarder ce qui, dans l’emploi perdu, n’était pas vraiment choisi. Il ne s’agit pas de se réjouir de la perte, mais d’en comprendre la logique plus profonde : une fidélité devenue toxique, qui empêchait toute affirmation véritable de soi.
L’exemple de Naïma, 34 ans
Naïma travaillait depuis dix ans comme adjointe administrative dans un service social. Très investie, elle faisait des heures supplémentaires non payées, prenait en charge les conflits, masquait les dysfonctionnements. Quand elle a été licenciée après un changement de direction, elle s’est sentie trahie. Mais avec le recul, elle a compris qu’elle n’avait jamais osé poser de limites, comme si elle devait prouver qu’elle méritait d’être là. En thérapie, elle a relié cette posture à son histoire familiale : une mère dépressive, qu’elle avait toujours soutenue dès l’enfance. Ce licenciement, dit-elle aujourd’hui, l’a forcée à « sortir du rôle de la fille forte ». Elle commence à construire un projet plus personnel, avec moins de renoncements.
La fidélité invisible et ses effets
Ces loyautés inconscientes façonnent des choix de vie entiers. Elles poussent à occuper des places de soutien, à endosser des responsabilités qui étouffent. Le licenciement, lorsqu’il interrompt cette dynamique, met en lumière un rapport ancien au devoir et à la réparation. Cette mise à distance permet parfois de nommer pour la première fois ce que l’on n’a jamais osé remettre en cause : le prix de l’amour dans certaines familles, le poids du silence, l’oubli de soi comme condition de l’acceptation.
Se dégager pour s’inventer
Sortir d’une fidélité toxique ne veut pas dire trahir les siens. Cela signifie cesser de sacrifier sa vitalité au nom d’un rôle hérité. Le licenciement peut alors devenir une césure féconde, s’il est accompagné d’un travail de sens. Il ne s’agit pas de repartir vite, mais de comprendre ce que l’on ne veut plus rejouer. Dans cet espace, une place neuve peut émerger, non plus dictée par une obligation inconsciente, mais par un désir à reconnaître.