Supporter un manager toxique : qu’est-ce que cela dit de notre histoire ?

Certain·es salarié·es supportent pendant des mois, voire des années, des comportements de dénigrement, de pression ou de manipulation de la part de leur hiérarchie. Bien que la souffrance soit réelle, ils ne partent pas. Ils minimisent, justifient, rationalisent. On pourrait croire à un simple manque d’options ou de confiance, mais bien souvent, d’autres forces plus inconscientes sont à l’œuvre. Supporter un manager toxique n’est pas seulement un acte rationnel ou contraint, c’est aussi, parfois, une répétition psychique de scénarios anciens, liés à la peur de l’abandon, à l’attente de reconnaissance ou à un attachement paradoxal. Et c’est dans cette complexité que se joue la persistance d’une situation que le sujet déplore mais n’arrive pas à quitter.
La figure d’autorité réactivée
Le manager toxique n’incarne pas seulement un supérieur hiérarchique abusif. Il peut, dans l’inconscient du salarié, faire retour d’une figure parentale ambivalente, à la fois crainte et idéalisée. Les humiliations répétées, les injonctions contradictoires ou l’indisponibilité émotionnelle du manager rejouent parfois des dynamiques précoces, vécues sans mots et restées actives. Le salarié ne se soumet pas passivement : il espère, souvent sans le formuler, transformer la relation. Obtenir enfin une validation, inverser la position, être vu·e différemment. La répétition s’installe dans l’illusion d’une réparation possible. Et l’entreprise devient alors le théâtre silencieux d’un drame psychique ancien.
Un exemple : Sonia face à l’ambiguïté hiérarchique
Sonia, 42 ans, est cheffe de produit dans une grande entreprise depuis huit ans. Son manager direct, reconnu pour son exigence, entretient avec elle une relation faite de louanges publiques et de critiques privées. Il lui fait des reproches flous, oublie ses réussites, annule des rendez-vous en dernière minute, puis la couvre de compliments dès qu’elle envisage de partir. Sonia reste. Elle explique qu’elle « comprend ses failles », qu’elle « n’a pas envie de le lâcher dans cette période ». Lors d’un accompagnement thérapeutique, elle réalise que son père, très charismatique mais distant, fonctionnait de manière comparable : présent par éclats, exigeant, culpabilisant. Sonia ne se vit pas comme une victime, mais comme une enfant encore fidèle, espérant qu’un jour, elle sera reconnue sans conditions. Ce n’est pas son manager qu’elle attend, mais ce regard différé du passé.
Le prix du maintien dans la souffrance
Rester dans une relation professionnelle toxique peut avoir un coût élevé : fatigue chronique, perte d’estime de soi, isolement émotionnel, voire dépression. Pourtant, le départ ne suffit pas toujours à libérer. Car ce qui lie, ce n’est pas seulement le contrat de travail, mais un lien psychique complexe, fait de loyauté inconsciente, de honte ou d’une dette affective non réglée. Ce type de lien ne se défait pas par une simple décision, car il engage la structure même de la subjectivité. Reconnaître que l’on rejoue quelque chose ne signifie pas qu’on est fautif, mais permet d’ouvrir une brèche dans la répétition. Il s’agit de cesser d’attendre d’une autorité actuelle ce qu’un enfant intérieur n’a jamais reçu.