Psychologie

Certains professionnels parviennent à travailler pendant des années sous la direction d’un supérieur instable. Ils s’adaptent aux humeurs, anticipent les changements d’avis, excusent les incohérences, trouvent même des qualités dans ce chaos. Aux yeux extérieurs, cette endurance peut sembler admirable, voire incompréhensible. Mais chez certains, cette capacité à tolérer l’imprévisible s’inscrit dans une dynamique bien plus ancienne : celle d’une répétition inconsciente du lien à une figure parentale défaillante ou insécurisante, qu’il s’agit, cette fois, de réussir à maintenir.

L’angoisse d’abandon plus forte que l’instabilité

Travailler sous la houlette d’un chef incohérent, imprévisible, voire injuste, peut créer une tension permanente. Mais certaines personnes s’y habituent, comme si elles retrouvaient un langage connu. Elles ont souvent appris très tôt à composer avec l’arbitraire, à faire avec l’absence de repères, à réguler elles-mêmes ce qui aurait dû l’être par l’adulte. Cette mémoire affective les rend particulièrement aptes à survivre dans des environnements chaotiques. Leur fidélité à un cadre instable n’est pas une preuve d’équilibre, mais le symptôme d’un attachement conditionné à l’imprévisibilité.

Exemple : Marion, fidèle malgré les secousses

Marion, 38 ans, est attachée de direction dans une institution culturelle. Elle travaille depuis six ans avec un directeur charismatique, brillant… et lunatique. Parfois chaleureux, parfois méprisant, il alterne entre enthousiasme et silence glacial. Ses collaborateurs défilent. Marion, elle, reste. Elle dit qu’elle “comprend son mode de fonctionnement”, qu’il est “juste exigeant”. En thérapie, elle évoque une mère très changeante, tour à tour affectueuse et disqualifiante, dont il fallait deviner les humeurs pour rester en lien. Le comportement de son chef rejoue cette danse affective ancienne, où la stabilité du lien dépendait de la capacité à s’adapter.

Une fidélité toxique

La loyauté de ces collaborateurs n’est pas seulement professionnelle. Elle est affective, silencieusement conditionnée par une fidélité archaïque. Supporter l’instabilité revient, sur le plan inconscient, à réussir là où l’on a jadis échoué : rester attaché à l’autre sans rompre, malgré son imprévisibilité. Cette répétition peut durer des années, nourrie par l’illusion que cette fois, le lien tiendra. Mais elle se fait souvent au prix de soi-même : la fatigue s’accumule, la colère est retournée contre soi, la subjectivité se dissout dans l’effort d’ajustement. Ce n’est pas seulement le chef qui dysfonctionne : c’est le cadre intérieur qui ne permet pas de dire stop.

Se réautoriser à fuir l’instabilité

Sortir de cette répétition ne signifie pas forcément quitter son poste, mais pouvoir reconnaître que ce qui est vécu n’est pas normal, ni nécessaire pour exister. Cela implique un travail sur la mémoire relationnelle, sur la possibilité de renoncer à une loyauté affective devenue destructrice. Ce déplacement psychique permet de poser des limites, d’envisager d’autres formes de lien où l’on ne doive plus deviner les humeurs pour mériter sa place. C’est dans cette désidentification que peut émerger une autre fidélité : non plus à la souffrance ancienne, mais à soi-même.

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