Le bilan de compétences : que rejoue-t-on avec le consultant ?

Le bilan de compétences se présente souvent comme une démarche neutre, objective, tournée vers l’identification des savoir-faire et l’élaboration d’un projet professionnel. Mais dans le cadre de cette exploration encadrée, le lien avec le consultant prend parfois une intensité qui dépasse largement la fonction accompagnatrice. Sans que cela ne soit toujours nommé, une dynamique transférentielle s’installe : ce tiers devient alors le dépositaire d’une attente ancienne, le miroir d’un regard espéré, redouté, ou déjà vécu. Ce n’est plus seulement un conseiller : il incarne, malgré lui, une figure symbolique, au croisement du parent, du juge et du sauveur.
Un lien asymétrique chargé d’enjeux identitaires
Dans le cadre du bilan, le consultant est celui qui écoute, reformule, interroge, et parfois oriente. Cette posture, à la fois bienveillante et structurante, peut réveiller chez le bénéficiaire un besoin de reconnaissance ancien. Certains cherchent dans ce regard une confirmation, d’autres redoutent d’y voir surgir un doute, une mise à l’épreuve. Cette asymétrie active des mouvements profonds : désir de plaire, peur d’être jugé, espoir d’être enfin compris. L’espace du bilan devient alors une scène où se rejouent des relations primitives à l’autorité, à la validation, et à la parole donnée ou refusée.
L’exemple de Thomas : se mesurer au regard de l’autre
Thomas, 39 ans, a quitté son poste dans le secteur bancaire après une longue période de désengagement. Il engage un bilan de compétences avec l’envie sincère de se réorienter. Mais très vite, il adopte une posture défensive face au consultant : il conteste les propositions, minimise ses propres réussites, rejette les hypothèses. En séance de psychothérapie, il réalise qu’il ne supporte pas de se sentir évalué. Adolescent, son père exigeait des résultats, mais restait indifférent aux efforts réels. Le consultant devient ici le double symbolique de ce père : une autorité silencieuse, face à laquelle il faut se justifier, se défendre, ou échouer pour se punir. Le bilan devient alors moins un espace d’élaboration qu’un lieu de conflit psychique réactivé.
Le consultant comme figure projective ambivalente
Ce que le consultant incarne, dans le transfert, c’est moins une personne réelle qu’un point d’appui ou de résistance imaginaire. Il peut être vécu comme bienveillant ou intrusif, clairvoyant ou aveugle, selon l’histoire du sujet. La moindre question peut être ressentie comme une intrusion, un jugement, ou au contraire comme un signe d’attention réparatrice. Ces mouvements ne relèvent pas du cadre professionnel stricto sensu, mais de l’histoire transférentielle que chacun y injecte inconsciemment. Et c’est précisément parce que le bilan touche à la question du devenir, donc à celle du désir, qu’il mobilise autant d’affects ambigus.
Penser le cadre comme contenant et non comme solution
Ce que le consultant offre réellement, ce n’est pas une réponse, mais un cadre symbolique qui autorise une parole sur soi. Lorsque ce cadre est stable, soutenant, clair dans ses limites, il permet au transfert de circuler sans s’enliser. L’enjeu n’est pas de résoudre le transfert, mais de l’accueillir, de le contenir, et d’en faire un levier de subjectivation. Car dans cette relation asymétrique, ce qui se joue avant tout, c’est la possibilité d’un regard différent sur soi-même : ni parental, ni prescriptif, mais suffisamment tiers pour que quelque chose d’inédit puisse se penser. Le bilan de compétences devient alors non pas un outil, mais un lieu d’élaboration psychique.