Psychologie

La figure du travailleur indépendant séduit par son apparente liberté : pas de supérieur à convaincre, pas d’équipe à gérer, pas de pouvoir à subir. Pourtant, chez certains, ce choix professionnel témoigne moins d’un désir d’autonomie que d’un refus inconscient de toute verticalité symbolique. Le lien hiérarchique, vécu comme menaçant, réactive des enjeux oedipiens non résolus, où le père — ou sa figure équivalente — reste source de conflit, de peur ou de rejet.

Refuser la hiérarchie pour éviter la soumission

Le rapport à l’autorité dans le monde professionnel est rarement neutre. Il vient souvent convoquer des représentations internes liées à l’enfance : obéir, se plier, être évalué peut réveiller la crainte d’être dominé, jugé ou impuissant. Dans ce contexte, le travail indépendant n’est pas qu’un cadre organisationnel : il devient un rempart contre le sentiment d’être écrasé ou contrôlé. On rejette le chef, mais derrière ce rejet, c’est la figure paternelle symbolique qui est évitée. Celle qui incarne la loi, la limite, la structure. Travailler seul, c’est alors rester dans une position défensive, où l’on peut éviter à la fois le conflit et la soumission.

La liberté comme réponse oedipienne

Dans certains cas, cette fuite de la hiérarchie révèle un conflit oedipien non élaboré. L’autorité est perçue comme un obstacle, un adversaire, une force qu’il faut contourner plutôt qu’intégrer. Le sujet n’a pas pu symboliser une position paternelle contenant, rassurante. Il n’en garde que l’image d’un pouvoir arbitraire ou menaçant. Refuser toute structure hiérarchique devient alors un acte de contestation : je travaille seul, donc je suis libre. Mais cette liberté peut être illusoire si elle repose sur une opposition systématique. Elle empêche de construire un rapport apaisé à la loi, au cadre, à la transmission. Le sujet reste en guerre contre un père intérieur qu’il n’a jamais vraiment affronté.

Exemple : Antoine, 37 ans, libre mais méfiant

Antoine, 37 ans, est développeur freelance. Il aime sa liberté, son rythme, ses projets choisis. Mais il confie ne pas supporter “qu’on lui dise quoi faire” et coupe court à toute collaboration dès qu’elle devient trop cadrée. En thérapie, il évoque un père autoritaire, peu disponible, souvent dans la critique. Il comprend que son rejet de toute hiérarchie professionnelle est un prolongement de cette défiance ancienne. Il ne veut plus “se sentir petit”, “dépendant d’un autre pour exister”. Il commence à repérer comment cette position radicale l’isole parfois, et à expérimenter des formes de lien professionnel où l’autorité ne serait plus vécue comme une menace, mais comme une fonction structurante.

Vers une autorité intérieure apaisée

Travailler seul peut être un choix lucide et serein. Mais lorsque ce choix repose sur le refus inconscient de toute autorité, il révèle une blessure plus profonde. Revenir à cette blessure, identifier les projections, reconnaître ce qui relève du passé permet d’ouvrir une autre voie : celle d’un rapport au pouvoir plus souple, moins clivé. On peut alors choisir la solitude professionnelle non pour éviter, mais pour construire — en paix avec les figures intérieures qui nous ont fait grandir.

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