Coaching ou contrôle ? Quand l’accompagnement devient injonction

Le coaching s’inscrit aujourd’hui dans une logique d’accompagnement au changement, à l’adaptation, à l’évolution. Il est censé libérer, faire émerger, révéler. Mais dans certaines situations, il agit moins comme un espace d’écoute que comme un outil de normalisation silencieuse. Derrière les intentions d’aide, se dessine parfois une forme de contrôle symbolique, où le changement souhaité n’est pas tant celui de la personne que celui de sa conformité.
Quand la demande vient d’ailleurs
De nombreux coachings débutent par une demande extérieure : un manager, un RH, un proche qui incite, suggère ou impose. Le sujet n’est pas toujours à l’origine du mouvement. Il arrive déjà inscrit dans un dispositif de transformation, dont il ne maîtrise ni le cadre, ni les objectifs implicites. Dans ces cas-là, le coaching vise davantage à ajuster le comportement à des attentes préexistantes qu’à accompagner un désir véritable. Ce glissement modifie profondément la nature du travail engagé.
Le modèle implicite de la personne « réglée »
Derrière les outils, les grilles et les indicateurs souvent utilisés dans le coaching, se cache une représentation du « bon fonctionnement » : assertif, souple, efficace, relationnel. Cette norme est rarement remise en question. Celui qui résiste, qui doute, qui ralentit, est vu comme un obstacle à lever, une résistance à neutraliser. On ne l’écoute pas pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il pourrait devenir s’il fonctionnait « mieux ». Le coaching devient alors un processus de lissage, au service d’un modèle implicite de l’individu performant.
L’exemple de Frédéric, 45 ans
Cadre dans un groupe bancaire, Frédéric est envoyé en coaching pour « travailler sa posture ». Il est jugé trop distant, trop peu participatif. Le coach l’encourage à « se rendre visible », à « exprimer davantage ses ressentis ». Frédéric essaie, mais se sent de plus en plus mal à l’aise. En séance, il évoque un père envahissant, un milieu familial où la retenue était un mode de protection. Ce qui est vu comme un blocage par l’entreprise est pour lui un équilibre fragile. Le coaching l’a mis en tension, non pas parce qu’il refusait d’évoluer, mais parce que le changement imposé ne respectait pas son histoire.
Adapter ou subjectiver ?
Un accompagnement peut soutenir un mouvement intérieur, ou au contraire le contraindre. Tout dépend du cadre posé, et de la manière dont le pouvoir y circule. Lorsqu’un coach agit en fonction d’attentes extérieures (résultats, comportements cibles, attendus relationnels), il devient l’agent d’une adaptation plus que d’un éveil. À l’inverse, lorsque l’espace est réellement ouvert, le sujet peut y élaborer une parole singulière, parfois à rebours des attentes normatives. C’est cette distinction entre adaptation et subjectivation qui fait la différence entre un coaching utile et un coaching intrusif.
Créer un espace de résistance possible
Un accompagnement véritable n’a pas pour but de corriger ou de redresser, mais de faire émerger un rapport plus libre à soi. Cela suppose que le coach ne se prenne pas pour un modèle, qu’il sache écouter sans orienter, accueillir sans prescrire. Ce qui change alors n’est pas forcément visible, ni immédiatement rentable. Mais ce changement-là, lent, parfois fragile, est le seul à pouvoir produire une transformation véritable — car il est l’effet d’un travail intérieur, et non d’un ajustement imposé.