Psychologie

Certaines personnes vont bien. En apparence. Elles travaillent, s’occupent de leur famille, remplissent leurs obligations sociales. Rien ne déborde, tout tient. Et pourtant, derrière ce bon fonctionnement, se tapit une fatigue morale, un sentiment de vide, une perte de goût pour ce qui autrefois nourrissait. C’est une souffrance sans éclat, sans plainte, que personne ne voit parce qu’elle ne gêne pas. Ce texte cherche à en décrypter les mécanismes intimes, souvent ancrés dans une histoire silencieuse.

Tenir coûte que coûte

Dans de nombreux cas, la capacité à « faire face » s’est construite très tôt, comme une réponse adaptative à un environnement instable, indifférent ou exigeant. Tenir bon devenait alors vital, pour ne pas effrayer les adultes, pour ne pas être un fardeau. L’adulte d’aujourd’hui, perçu comme fiable et solide, perpétue souvent cette posture de maîtrise. Mais ce qui fut un refuge peut devenir une prison. En continuant à fonctionner sans relâche, on prend le risque d’éteindre peu à peu les zones vivantes en soi. L’efficacité devient un masque derrière lequel la subjectivité s’épuise à ne plus exister.

La souffrance qui ne se dit pas

Ce qui rend ce mal-être si difficile à identifier, c’est qu’il ne correspond à aucun scénario dramatique. Il n’y a pas de rupture, pas de conflit, pas de symptômes bruyants. Et pourtant, tout semble grincer intérieurement. Le sourire est là, mais figé. L’énergie suffit à tenir, mais pas à ressentir. Cette douleur discrète est souvent ignorée car elle ne dérange personne. Elle est d’autant plus perverse qu’elle est socialement valorisée : on admire la personne qui « assure », même quand elle ne vit plus vraiment. Et celui ou celle qui ressent le vide n’ose pas en parler, de peur de paraître ingrat.

L’exemple d’Émilie, 42 ans

Émilie travaille dans les ressources humaines d’un grand groupe. Organisée, présente, soutenante, elle gère son quotidien avec sérieux et bienveillance. Tout semble sous contrôle. Personne ne soupçonne qu’elle traverse un épuisement affectif profond. Depuis plusieurs mois, elle se sent vide, comme absente à elle-même. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive. En thérapie, elle évoque pour la première fois cette impression d’être devenue un rouage, utile mais sans intériorité. Elle s’est oubliée dans son propre rôle. Derrière sa solidité, c’est une forme de résignation qui s’est installée. Elle réalise qu’elle n’a jamais appris à dire « non », à se choisir, à décevoir un peu pour rester vivante. Et que son apparente force la protège, mais l’étouffe aussi.

Retrouver le droit d’aller mal

Revenir à soi dans ces cas-là n’est pas une affaire de volonté ou d’optimisme. Il ne s’agit pas de « positiver », mais de s’autoriser à être en creux, à ne plus tout porter, à exister sans produire. Cela suppose de se défaire du rôle de celui ou celle qui tient toujours, pour se reconnecter à une vie intérieure souvent mise en sourdine depuis longtemps. Reconnaître son propre mal-être quand il ne fait pas de bruit, c’est déjà cesser de l’invisibiliser. Et parfois, c’est dans cette brèche discrète que quelque chose de vivant peut recommencer à circuler.

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