Psychologie

Dans les milieux artistiques, il est courant d’entendre des phrases comme « Je ne suis pas vraiment un artiste », « Ce n’est pas assez bon pour être montré », ou « Je ne me sens pas légitime ». Derrière ces formules banales, se loge souvent une souffrance plus profonde : celle d’un narcissisme fragilisé, d’une autorisation intérieure qui n’a jamais été donnée.

Un regard ancien intériorisé

Le sentiment d’illégitimité ne vient pas seulement d’un manque de reconnaissance extérieure. Il prend racine plus tôt, dans la manière dont le sujet a été vu, entendu, confirmé dans son enfance. Lorsque l’enfant ne reçoit pas un regard soutenant, capable de valider son existence singulière, il doute de sa valeur. Ce doute se rejoue plus tard dans la création : chaque tentative devient un risque d’être jugé, moqué, effacé. L’œuvre n’est pas encore née qu’elle est déjà perçue comme indigne.

L’art comme lieu de réactivation

Créer, c’est exposer quelque chose de soi. Mais quand cette exposition réveille une faille narcissique non cicatrisée, elle devient une épreuve. Le geste créatif est immédiatement contaminé par la peur d’être ridicule, de ne pas être à la hauteur, d’usurper une place. L’angoisse n’est pas seulement de ne pas réussir, mais de trahir un interdit plus ancien : celui d’exister de manière différenciée, d’affirmer une voix propre. L’illégitimité n’est donc pas un constat objectif, mais une résonance intime.

L’exemple de Claire, 41 ans

Claire est professeure d’histoire, mais écrit de la poésie depuis ses 20 ans. Elle n’a jamais rien publié, ni même montré à ses proches. Elle dit : “Ce serait prétentieux.” En thérapie, elle évoque une mère critique, peu sensible à l’expression artistique, et un père lointain. Très tôt, elle a appris à ne pas déranger, à ne pas faire de vague. Créer est resté pour elle un acte intime, presque coupable. Montrer ses textes reviendrait à revendiquer une valeur qu’elle ne s’autorise pas à avoir. C’est en travaillant sur ce manque de confirmation précoce qu’elle commence, lentement, à envisager un partage.

Une position défensive

Le sentiment d’imposture fonctionne aussi comme une protection. Il évite l’exposition, l’échec, la confrontation. Il permet de rester dans le désir sans avoir à le confronter au réel. Tant qu’on ne crée pas, ou qu’on ne montre pas, on protège une image idéalisée de soi. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la reconnaissance extérieure, mais le risque de voir confirmé ce que l’on redoute en secret : “Je ne vaux rien.” Sortir de cette impasse suppose de renoncer à la toute-puissance du fantasme pour entrer dans la vulnérabilité de l’acte.

Se donner la permission

Il ne suffit pas d’être encouragé pour se sentir légitime. Il faut travailler la permission intérieure à exister dans l’expression. Cela passe par un processus souvent long : revisiter les interdits intériorisés, les dévalorisations anciennes, les figures d’autorité encore agissantes. Ce n’est pas tant la reconnaissance extérieure qui manque que la possibilité de se valider soi-même. Quand elle advient, même timidement, une autre forme de création devient possible : non plus défensive ou honteuse, mais vivante, incarnée, singulière.

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