La posture parfaite : que cherche-t-on à contenir dans l’immobilité ?

Dans certaines pratiques méditatives ou de yoga, l’attention portée à la posture devient centrale. Dos droit, mâchoire relâchée, immobilité absolue. L’idée est de trouver une forme d’alignement corporel propice au calme intérieur. Mais cette exigence de perfection physique n’est pas toujours neutre. Elle peut traduire un besoin inconscient de contenir, de tenir, de ne pas laisser sortir ce qui, à l’intérieur, menace de déborder. La posture cesse alors d’être un appui pour devenir une armure. Ce que le corps fige, c’est souvent ce que le psychisme ne peut encore accueillir.
L’immobilité comme rempart contre la défaillance
Tenir la posture, c’est aussi tenir symboliquement. Le corps devient un bastion contre l’effondrement, la confusion ou le débordement émotionnel. Chaque vertèbre maintenue, chaque tension camouflée, raconte un effort de solidité. Pour certains, se tenir droit, immobile, devient une manière de ne pas vaciller psychiquement. C’est une forme de dignité, mais aussi de défense. La posture « parfaite » rassure : elle crée un cadre, elle évite le flou, elle interdit les débordements. Elle incarne un ordre face à ce qui, en soi, reste chaotique.
Exemple concret : le corps qui tient à la place de l’intérieur
Mathilde, 40 ans, est professeur de yoga. Elle valorise la justesse du geste, la rigueur du souffle, la maîtrise de l’alignement. Mais en séance de thérapie, elle évoque sa difficulté à « se laisser aller », même seule. Son immobilité n’est pas un relâchement, c’est une manière de tenir debout intérieurement. Elle a appris à maîtriser son corps pour ne pas ressentir certains souvenirs envahissants. La posture parfaite est devenue son échafaudage : elle tient son équilibre, mais l’empêche aussi d’écouter ce qui, en elle, veut bouger.
La maîtrise du corps contre l’émotion
Ce besoin de précision, de contrôle, de tenue parfaite, n’est pas seulement corporel. Il vient souvent au secours d’un moi fragile, d’une peur de la perte de cohésion psychique. Le relâchement est vécu comme un risque. Le moindre mouvement incontrôlé serait une brèche, un appel d’air pour des affects trop puissants. Alors on se raidit, on s’immobilise, on transforme la présence en performance. La posture devient un masque de sérénité, une immobilité de façade qui empêche le vivant d’advenir.
Réconcilier présence et souplesse
Il ne s’agit pas de renoncer à l’attention portée au corps, mais de la délester de sa charge défensive. Mathilde, en acceptant de bouger légèrement en méditation, de respirer plus librement, commence à sentir une autre forme de présence. Moins contrôlée, plus vivante. Elle découvre que ce qu’elle croyait devoir contenir ne la détruit pas. Que l’immobilité parfaite n’est pas la seule voie vers le calme. En assouplissant sa posture, elle autorise aussi un peu plus de mouvement intérieur. Et dans ce frémissement, quelque chose se relie enfin.