Les insomnies comme crise du rythme intérieur

Difficulté à s’endormir, réveils nocturnes, ruminations à l’aube… Les insomnies sont souvent abordées comme des troubles fonctionnels, mais elles ont aussi une portée symbolique forte. Quand le corps ne parvient plus à s’abandonner au sommeil, c’est souvent qu’un désaccord plus profond traverse la vie psychique. Le rythme veille-sommeil, normalement fluide, devient un lieu de tension. L’insomnie n’est pas une simple gêne : elle est le signe d’un conflit intérieur non élaboré.
Le sommeil, passage et abandon
Dormir, c’est se laisser aller, se désarmer temporairement, entrer dans une zone de non-contrôle. Pour beaucoup, cette perte de maîtrise est insupportable. L’esprit reste en alerte, refuse de se taire, comme si lâcher prise exposait à un danger. La veille est tendue, mais elle rassure. Le sommeil, au contraire, confronte à une forme de vide. L’insomnie devient alors une lutte contre une plongée perçue comme menaçante.
Rupture du rythme et désordre intérieur
Le cycle veille-sommeil repose sur une alternance régulée, un dialogue entre les temps d’activité et de retrait. Quand ce rythme se rompt, c’est souvent qu’un désordre plus intime se manifeste. Le sujet ne parvient plus à articuler ces deux pôles. Il reste coincé dans une hyperveille, parfois alimentée par des pensées circulaires, des peurs anciennes, des scénarios non digérés. L’insomnie devient la scène répétée d’un conflit muet.
L’exemple de Julien, 41 ans
Julien se réveille chaque nuit à 3 h du matin, sans raison apparente. Il reste éveillé pendant deux heures, puis se rendort épuisé. En séance, il réalise que c’est à cette heure-là, enfant, qu’il entendait ses parents se disputer dans la pièce voisine. À l’époque, il restait figé, dans une attente tendue. Aujourd’hui, son corps rejoue ce moment, chaque nuit, comme si la vigilance était encore nécessaire. L’insomnie n’est pas une erreur du système : c’est une mémoire qui parle.
Le sommeil empêché par le psychisme
Certaines pensées, certains affects non élaborés cherchent une scène pour se manifester. La nuit, privée de distraction, devient leur théâtre. Le sommeil est repoussé non par choix, mais par saturation. L’esprit, débordé, n’a pas trouvé d’autre moment pour traiter ce qui le traverse. L’insomnie, dans ce cas, est un symptôme plus qu’un dysfonctionnement. Elle dit l’impossibilité de relâchement tant que le conflit reste hors de portée du langage.
Retrouver le rythme comme reconquête
Il ne s’agit pas de forcer le sommeil, mais de réconcilier les temporalités internes. Pour cela, le sujet doit pouvoir déposer ce qu’il retient, reconnaître les tensions qu’il abrite, se donner une parole là où il ne trouve qu’un silence agité. Le retour au sommeil ne passe pas par la volonté, mais par l’apaisement progressif d’un rythme intérieur abîmé. C’est un mouvement de réaccordage, non de correction.