L’obsession de la pleine conscience : une angoisse de perte de contrôle ?

Pratiquer la pleine conscience, c’est vouloir être là, attentif à l’instant, ancré dans le réel. Sur le papier, cette intention semble saine, voire libératrice. Mais pour certains, la pratique se durcit, se répète, devient rigide. Ce qui devait être un moyen de présence devient un outil de contrôle, un effort pour empêcher la pensée de dériver, les émotions d’affleurer, le désordre intérieur de surgir. Derrière l’idéal d’attention se cache parfois une peur : celle de perdre prise, d’être débordé, de sentir ce qui ne peut être contenu.
Quand la conscience devient une injonction
Loin d’un accueil de ce qui vient, certaines pratiques de pleine conscience se transforment en exigence de vigilance permanente. On traque les automatismes, on surveille le corps, on note les pensées, non pas pour les rencontrer, mais pour les corriger ou les canaliser. Il ne s’agit plus d’une ouverture, mais d’un renforcement de la maîtrise. Être présent devient une tâche, presque une obligation, avec une peur sous-jacente : celle qu’un relâchement révèle un chaos intérieur. L’attention se substitue à la confiance.
Exemple concret : trop présent pour ne pas vaciller
Thomas, 39 ans, pratique la pleine conscience depuis deux ans. Il en parle avec précision, détaille ses exercices, ses progrès. Mais il avoue que lorsqu’il oublie de pratiquer, il se sent rapidement inquiet, tendu, comme « envahi ». La pleine conscience est devenue pour lui un rituel défensif contre une agitation mentale qu’il ne s’explique pas. Il ne cherche pas tant à se relier au moment qu’à éviter d’être traversé. L’attention extrême est une manière de tenir, non de se déposer. Elle protège, mais elle enferme.
Une dérive contrôlante sous des dehors apaisants
Dans ce type de fonctionnement, la pleine conscience glisse vers un perfectionnisme discret. Chaque instant doit être vécu « pleinement », chaque geste observé, chaque pensée cadrée. Le moindre flottement devient suspect, chaque oubli est ressenti comme un échec. On ne médite plus pour habiter, mais pour éviter. Le calme devient normatif, le corps un outil de maîtrise. Le sujet se retire de lui-même dans une conscience hypertrophiée, où plus rien ne déborde. C’est la fluidité de l’expérience qui se trouve sacrifiée au nom du contrôle.
Vers une attention habitée, non imposée
Il est possible de sortir de cette logique sans renoncer à la pratique. Il s’agit de passer d’une attention tendue à une écoute souple, d’une conscience dirigée à une présence réceptive. Thomas, en acceptant de rater ses séances, de ne pas toujours être attentif, commence à découvrir une autre forme de contact à lui-même : moins constante, mais plus vivante. La pleine conscience, dans ce mouvement, redevient un espace de lien, et non une surveillance. Ce n’est plus une maîtrise, mais une disponibilité.