Psychologie

Certaines personnes parlent de créer depuis des années. Elles dessinent en secret, écrivent sans jamais finir, rêvent d’un atelier ou d’un livre… mais rien ne sort. Le désir est là, puissant, parfois ancien, mais il reste empêché. Ce blocage, souvent attribué au manque de temps ou de discipline, s’ancre en réalité dans des strates plus profondes de la vie psychique : peur du jugement, de l’exposition, ou d’une différenciation symbolique.

Un désir intense, mais interdit

Créer, c’est affirmer un mouvement intérieur. Or ce mouvement entre souvent en conflit avec des injonctions anciennes, implicites. Il peut apparaître comme une transgression : celle de sortir du rang, de s’autoriser, de prendre une place. Pour certains, cela évoque immédiatement une culpabilité sourde. Il n’est pas rare que derrière le blocage se cache une loyauté familiale non consciente : ne pas dépasser, ne pas trahir, ne pas être “trop différent”. Le désir existe, mais il est réprimé pour préserver un lien ancien — même s’il n’est plus actif dans la réalité.

La peur du regard, la peur d’exister

Créer expose. Non seulement aux autres, mais à soi. Cela rend visible une part intime, parfois informe, parfois fragile. Pour ceux dont l’histoire a été marquée par un regard critique, intrusif ou moqueur, cette exposition devient insupportable. Mieux vaut ne rien montrer. Mieux vaut ne rien faire. Le silence protège. Ce n’est pas un caprice ni une paresse, mais une défense solide contre une blessure encore vive. Le simple fait d’imaginer que l’on pourrait être lu, vu ou entendu suffit à raviver un danger ancien : celui d’être jugé, dénigré ou ignoré.

L’exemple de Sophie, 37 ans

Sophie écrit depuis l’adolescence. Des carnets entiers, des idées de roman, des débuts prometteurs. Mais dès qu’il s’agit de finaliser ou de montrer, elle se fige. Elle se trouve prétentieuse, illégitime, ridicule. En analyse, elle découvre que dans son enfance, sa mère valorisait la discrétion, la réserve, la conformité. Toute forme de singularité était perçue comme déplacée. Créer, pour Sophie, reviendrait à s’extraire de cette posture héritée, à affirmer une voix. Ce mouvement l’angoisse autant qu’il l’attire. Elle comprend peu à peu que ne pas créer est aussi une manière de rester dans le lien.

Le fantasme de l’œuvre parfaite

Un autre frein fréquent est l’idéalisation du résultat. Beaucoup veulent créer, mais ne supportent pas l’idée de rater, de tâtonner, d’être médiocres. L’œuvre doit être parfaite… ou ne pas exister. Ce fantasme d’excellence bloque le geste même de commencer. Il cache souvent une angoisse narcissique : que reste-t-il si je produis quelque chose de banal ? La création devient alors un terrain miné, où l’on rejouerait une blessure identitaire. Là encore, ce n’est pas l’œuvre qui compte, mais ce qu’elle mettrait en jeu.

S’autoriser à tâtonner

Sortir de l’empêchement suppose d’accepter l’imperfection, l’inachèvement, la maladresse. Créer ne commence pas avec le talent, mais avec une autorisation intérieure. Ce mouvement ne peut être forcé, mais il peut être apprivoisé. Par des gestes simples, discrets, répétés. En protégeant l’espace de création des regards, y compris le sien. En renonçant, parfois, à l’idée d’être compris. C’est dans ce lâcher-prise que peut naître une parole plus libre — fragile, mais vivante.

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