Psychologie

Pour beaucoup, le petit-déjeuner est un rituel d’entrée dans la journée. Pourtant, certaines personnes, et pas seulement les plus pressées, s’en passent systématiquement. Sans faim, sans envie, parfois même avec un dégoût à l’idée de manger au réveil. Ce refus de se nourrir le matin ne relève pas toujours d’un choix pragmatique ou d’une simple habitude. Il peut révéler une posture psychique plus profonde : une difficulté à consentir au jour, à l’existence active, ou encore un mécanisme inconscient de contrôle. Que signifie ce refus matinal de s’alimenter quand il devient une constante ?

Se nourrir, c’est consentir à vivre

Le premier repas du jour engage symboliquement une affirmation de soi. En acceptant de se nourrir, on reconnaît ses besoins corporels, on s’ancre dans une temporalité diurne. Or, pour certains, cette prise de corps, ce retour à l’incarnation, peut être vécu comme une agression ou une surcharge. Le matin, le corps est encore fragile, flottant, à la frontière du rêve et de l’éveil. Refuser d’y introduire de la matière, c’est parfois chercher à maintenir cette suspension, ce retrait du monde. Le jeûne matinal devient alors une manière d’éviter l’impact du réel, de retarder l’inscription dans le jour.

Exemple : Valérie, 45 ans, “pas faim avant midi”

Valérie, 45 ans, ne prend jamais de petit-déjeuner. Elle affirme ne jamais avoir faim, même si elle mange beaucoup au dîner. Lorsqu’on l’interroge, elle explique qu’elle aime « garder la tête claire le matin », que « ça la rend plus efficace ». Mais elle avoue aussi ressentir un certain mal-être à l’idée de commencer la journée en s’arrêtant sur elle. Manger le matin, dit-elle, la ralentirait. En réalité, ce refus n’est pas lié à un manque d’appétit, mais à une stratégie défensive : garder le contrôle, éviter de ressentir trop tôt, rester dans une forme de distance intérieure. Son activité intense dès le réveil agit comme un couvercle posé sur l’angoisse de retomber.

Le contrôle comme rempart contre l’intrusion

Ne pas manger peut être une manière inconsciente de poser une limite. Le petit-déjeuner introduit de la chaleur, du soin, de la présence à soi. Certains y voient une intrusion, un appel à se relâcher, qu’ils ne peuvent tolérer. Le refus devient une manière de rester en vigilance, dans une posture défensive face au monde. Se nourrir, surtout au réveil, suppose de se laisser toucher par le besoin, donc par une forme de vulnérabilité. Ceux pour qui cette position est trop insécurisante préfèrent se couper de leurs sensations corporelles jusqu’à ce qu’elles deviennent impérieuses, en fin de matinée.

Une manière de différer la rencontre avec soi

Le moment du matin est souvent celui où le psychisme est le plus à nu. Refuser de manger, c’est parfois éviter de se confronter à ce qui émerge dès le réveil. L’alimentation, à cet instant, pourrait ouvrir la porte à des sensations, des émotions, des failles que le mental préfère repousser. Le vide dans l’estomac devient alors un équivalent du retrait psychique : il protège, il dissocie. La pensée reste en surplomb, le corps à distance. Ce n’est que plus tard, une fois les défenses reconstituées, que la faim est tolérable, et avec elle, une part de présence à soi.

Retrouver le lien entre besoin et désir

Il ne s’agit pas de faire du petit-déjeuner un impératif. Mais interroger ce refus répété permet de repérer une logique inconsciente à l’œuvre : celle d’un rapport difficile au début, au corps, au soin. Ce n’est pas tant le repas du matin qui est refusé que ce qu’il engage symboliquement : la reconnaissance de sa propre fragilité. Remettre en circulation le désir de manger au réveil passe parfois par un travail intérieur plus vaste, où l’on réapprend à habiter son corps, à le sentir sans crainte, à faire place à ses besoins sans qu’ils soient vécus comme une menace.

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