Pourquoi la souffrance psychique est si difficile à nommer ?

On peut dire qu’on a mal au ventre, au dos, à la tête. Mais dire qu’on souffre « à l’intérieur » reste souvent vague, embarrassant, voire impossible. La souffrance psychique, parce qu’elle échappe aux repères du corps ou aux causes évidentes, peine à trouver ses mots. Elle fait mal sans lieu précis, sans preuve visible, et c’est précisément ce qui la rend si insaisissable. L’entourer de silence est une manière de se protéger, mais aussi de s’éloigner de soi.
Le poids de la honte
Il y a, dans la souffrance psychique, une dimension honteuse difficile à contourner. Parce qu’elle ne se voit pas, on craint qu’elle ne soit pas légitime. Parce qu’elle semble irrationnelle, on redoute de passer pour faible, instable ou « incapable de relativiser ». On n’ose pas nommer ce qui n’est pas reconnu dans les codes sociaux du malheur. La personne qui souffre peut ainsi porter une double peine : la douleur intérieure et l’obligation de faire comme si tout allait bien, pour ne pas inquiéter ni s’exposer.
Un langage flou et sans contour
Contrairement à la souffrance physique, qui peut être décrite, localisée, mesurée, la souffrance psychique est souvent floue, labile, mouvante. Elle n’obéit pas aux mêmes logiques que les maladies organiques. Elle se manifeste parfois par un vide, un excès, une sidération. Et ce flou, loin d’être une faiblesse, témoigne de la complexité du psychisme et de son rapport au monde. L’esprit ne souffre pas « à part » : il souffre à travers des tensions internes, des conflits non dits, des héritages invisibles.
L’exemple de Julie, 44 ans
Julie est responsable d’un service dans la fonction publique. Compétente, efficace, toujours présente, elle n’a jamais pris de congé maladie. Mais depuis quelques mois, elle dort mal, mange peu, pleure parfois sans comprendre pourquoi. Elle n’a pas de mots pour ce qu’elle traverse, seulement un sentiment d’effondrement diffus. En consultation, elle dit simplement : « Je me sens cassée, mais je ne sais pas dire où ni comment. » Son mal-être ne se résume pas à une cause unique, mais à un emboîtement de loyautés, de peurs anciennes et de silences accumulés. Ce n’est qu’en se risquant à parler malgré le flou qu’une mise en sens devient possible.
L’isolement intérieur
Ne pas pouvoir dire sa souffrance, c’est souvent se retrouver seul avec elle. Ce silence, qui protège parfois du regard des autres, empêche aussi d’être rejoint. La personne en détresse ne cherche pas toujours des solutions, mais une reconnaissance. Être entendu, sans être corrigé, sans être réduit à un diagnostic. Nommer sa souffrance, même maladroitement, permet de briser l’isolement psychique. Ce premier pas, fragile, ouvre la voie à un espace de subjectivité, où l’on cesse d’avoir à prouver ce que l’on ressent.