Quand jardiner, cuisiner ou bricoler réparent quelque chose

Retourner la terre, éplucher des légumes, ranger un tiroir… Ces gestes simples, souvent relégués au quotidien ou à la distraction, peuvent pourtant jouer un rôle psychique profond. Ils créent un espace de continuité, de maîtrise douce, de réparation symbolique. Sans que cela soit formulé consciemment, ces activités viennent parfois occuper un lieu intérieur en désordre, comme si en remettant de l’ordre dehors, on pansait quelque chose dedans.
Des gestes qui prennent soin au-delà du visible
Ces activités n’ont pas besoin de but noble ni de justification thérapeutique. Elles ont une fonction contenante en elles-mêmes. Le rythme lent, la matérialité des objets, le rapport direct au monde extérieur apaisent le débordement mental. Ce ne sont pas des “solutions” aux conflits psychiques, mais des manières de rester en lien avec soi malgré le tumulte. Elles autorisent une forme d’occupation qui n’est pas fuite, mais ajustement temporaire à l’impossibilité de parler ou d’élaborer.
L’ordre extérieur comme reflet de l’ordre intérieur
Cuisiner ou bricoler produit des effets visibles, tangibles, maîtrisables. Et ce visible agit comme un miroir silencieux pour un psychisme parfois flou, éclaté, désorganisé. Ce n’est pas tant le résultat qui compte, mais le sentiment d’avoir traversé quelque chose par le faire. L’action, modeste, devient une métaphore d’un travail plus intérieur. Elle ne résout rien, mais elle soutient, elle borde. Elle crée un contour.
L’exemple de Thomas, 46 ans
Après un burn-out, Thomas passe ses journées à réparer des objets chez lui. Il ne cherche pas à “aller mieux” mais à ne pas sombrer. Il repeint une étagère, classe des vis, remet en état un vieux robinet. Chaque geste le soulage. Il explique qu’il « s’arrête de penser » en bricolant. Mais en séance, il réalise que ce n’est pas une absence : c’est une autre forme de présence. Cette mécanique, ce rythme, cette matière qu’il transforme sont autant de signes de sa capacité à encore créer une forme, même minime, dans un monde intérieur qui s’était effondré.
Réparer sans dire, dire en réparant
Ces gestes ne sont pas toujours parlants, mais ils sont souvent parlés à travers le corps. Ils permettent d’exprimer un soin, un effort, un désir d’ordonner sans passer par le langage. Ils autorisent une parole indirecte, muette, mais agissante. Le sujet ne parle pas, mais il agit symboliquement. Et parfois, c’est justement ce détour qui rend possible, plus tard, un retour du langage.
Une action qui relie sans expliquer
Dans une époque où tout doit être formulé, expliqué, optimisé, ces gestes ont quelque chose d’inactuel. Ils relient le sujet à lui-même sans commentaire, sans analyse. Ils n’évitent pas le travail psychique, mais l’accompagnent silencieusement. Ce ne sont pas des échappatoires, mais des ponts. Et c’est précisément parce qu’ils ne prétendent rien réparer qu’ils soutiennent, en profondeur, le mouvement discret d’une reprise intérieure.