Quand les affirmations positives deviennent une injonction au déni

« Je vais bien », « Je suis capable », « Tout va s’arranger ». Ces phrases, issues de l’univers du développement personnel, se veulent rassurantes, motivantes, structurantes. Mais que se passe-t-il lorsque ces affirmations positives deviennent un impératif ? Quand elles ne sont plus un soutien, mais une censure ? Derrière le vernis du “penser positif” peut se cacher une forme insidieuse de déni de la vie psychique, un refus d’écouter ce qui dérange, blesse ou résiste.
Le danger d’un discours univoque
Les affirmations positives promettent une reprise de pouvoir sur soi. Elles proposent de remplacer une pensée limitante par une pensée mobilisante. Sur le papier, l’idée est séduisante. Mais ce mécanisme peut glisser : au lieu de traverser une émotion, on cherche à la neutraliser ; au lieu de nommer une douleur, on la maquille d’enthousiasme. La parole ne devient plus un lieu de vérité, mais un outil de performance intérieure. On ne ressent pas mieux — on parle mieux. Et l’écart se creuse.
Un langage qui oublie le conflit
La vie psychique est faite de contradictions. On peut vouloir et refuser, aimer et en vouloir, espérer et se méfier. Les affirmations positives, en imposant une parole homogène, refoulent cette complexité. Elles produisent un discours sans conflit, sans nuance, sans ambivalence. Or, ce sont justement les contradictions qui permettent le travail d’élaboration. En les évacuant trop vite, on bloque le processus de symbolisation. Le mal-être ne disparaît pas : il se déplace, souvent sous forme de fatigue, de tension, de vide.
L’exemple de Julien, 36 ans
Julien traverse une période de deuil après une rupture. Il répète chaque jour des phrases d’ancrage : “Je suis serein”, “Je m’ouvre à la nouveauté”, “Je choisis la paix.” Mais plus il les énonce, plus il se sent faux. En séance, il avoue qu’il ne ressent rien de ce qu’il dit. Il a intégré l’idée que penser négativement “attire le négatif”, alors il s’impose une positivité de surface. En réalité, il n’a jamais pu parler de sa tristesse, de son sentiment d’échec. Ses affirmations ne sont pas une ressource, mais un masque. Ce n’est qu’en osant dire “je suis perdu” qu’un apaisement réel commence à émerger.
Du soutien à la censure
Il ne s’agit pas de rejeter toute forme d’affirmation positive. Certaines peuvent être des appuis temporaires, des jalons dans un chemin d’effondrement ou de confusion. Mais dès qu’elles deviennent systématiques, normatives, prescrites, elles se transforment en injonctions. Le sujet ne s’écoute plus : il se programme. Il se parle comme on parle à un collaborateur, avec des objectifs et des évaluations. Il perd l’accès à une parole plus vivante, plus heurtée, mais plus authentique.
Retrouver une parole habitable
La parole thérapeutique n’est pas toujours belle. Elle est parfois maladroite, ambivalente, trouée. Mais elle dit quelque chose de vrai. Apprendre à parler depuis ce lieu — celui de l’imperfection, du doute, du conflit — permet de renouer avec soi. Une affirmation juste, ce n’est pas une phrase parfaite : c’est une parole qui résonne, même si elle tremble. C’est là que le travail commence : non pas dans la répétition de formules, mais dans l’accueil d’un langage qui ne cherche plus à dominer ce qui souffre.