Psychologie

Créer est souvent perçu comme un acte de liberté, un élan intérieur, une manière de se dire au monde. Mais pour certaines personnes, l’œuvre devient un refuge, voire un rempart. Elle ne dévoile pas, elle cache. Elle ne libère pas, elle contient. Derrière la beauté, la technicité ou l’abondance de formes, se loge parfois une douleur tue, que la création vient habiller, détourner ou neutraliser.

Une fonction protectrice avant tout expressive

Il est essentiel de reconnaître que toute œuvre ne cherche pas à dire, mais parfois à retenir, ordonner, maîtriser. Pour certains artistes, l’acte de création est avant tout une manière de tenir debout. Il sert de contenance à un monde intérieur trop mouvant, trop menaçant. La forme, la structure, les détails deviennent autant de digues face à l’angoisse. Ce n’est pas une parole libre, mais une architecture de survie. Une façon de ne pas sombrer plutôt qu’une tentative d’exprimer.

L’esthétique comme défense contre le chaos

Dans certaines œuvres, la rigueur formelle, la virtuosité ou la répétition deviennent une obsession. On sent que ce qui est montré masque plus qu’il ne révèle. L’harmonie devient un écran. La maîtrise technique, une manière d’éviter l’informe. Ce n’est pas un choix conscient, mais une défense profonde : celle qui permet de contenir un noyau douloureux, souvent archaïque, que le sujet ne peut encore affronter. L’œuvre devient un bouclier : splendide, mais impénétrable.

L’exemple d’Hugo, 39 ans

Hugo est illustrateur. Ses dessins sont d’une grande précision, très appréciés pour leur composition millimétrée. Mais dans la vie, il peine à mettre des mots sur ce qu’il ressent. Tout passe par l’image, jamais par le langage. En thérapie, il a compris que sa passion pour la composition visuelle avait commencé après le décès brutal de sa sœur, à l’adolescence. Dessiner l’a sauvé, mais aussi figé. Il a réalisé que cette rigueur cachait une immense peur de perdre pied, et que le geste créatif, en apparence apaisé, était une manière de se défendre contre l’effondrement.

Une œuvre qui contient sans transformer

Créer peut alors devenir une solution stabilisante, mais figée. Ce qui est mis en forme n’est pas encore symbolisé. C’est une enveloppe, non une élaboration. L’œuvre absorbe l’émotion, mais ne la traite pas. Elle permet d’avancer, mais parfois au prix d’une mise à distance de soi. Cela n’invalide pas sa beauté, ni sa puissance, mais interroge la fonction qu’elle occupe dans la vie de celui qui la produit.

De l’écran à la parole

Avec le temps, et souvent un travail d’accompagnement, l’œuvre peut cesser d’être un refuge défensif pour devenir un espace d’élaboration vivante. Le geste reste, mais il s’assouplit. Il ne sert plus seulement à contenir, mais à transformer. Ce passage, discret mais fondamental, marque un tournant : on ne crée plus pour fuir ce que l’on ressent, mais pour le traverser. Ce n’est plus une protection contre soi-même, mais une mise en lien plus profonde.

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