Psychologie

Certaines personnes mangent en excès non pas pour se faire plaisir, mais presque pour se faire mal. Elles enchaînent les prises alimentaires en silence, souvent seules, avec une impression de perte de contrôle suivie d’une intense culpabilité. Loin d’être un simple écart ou une gourmandise mal maîtrisée, cet acte peut fonctionner comme une punition. Une manière de se faire payer une faute invisible, de se rappeler sa propre indignité, ou de contenir un conflit interne. Pourquoi manger peut-il devenir un geste dirigé contre soi-même ?

Le corps comme cible d’un conflit psychique

Lorsque la culpabilité ne trouve pas de voie symbolique pour s’exprimer, elle se retourne contre le corps. Certaines personnes, marquées par un idéal de perfection ou par une exigence interne rigide, vivent le moindre désir, la moindre faiblesse, comme une faute. Elles s’accusent en silence d’avoir échoué, d’avoir failli. Et c’est par la nourriture qu’elles se punissent. Manger trop, manger mal, devient une manière de se dégrader symboliquement. Ce n’est pas le plaisir qui est recherché, mais l’acte d’endommager une image de soi déjà fragilisée. Le symptôme alimentaire agit comme une scène de mise en échec répétée.

Exemple : Sophie, 43 ans, et les soirées destructrices

Sophie, 43 ans, travaille dans la communication. Elle vit seule. Certains soirs, après une journée difficile, elle commande de la nourriture en grande quantité, mange rapidement, sans faim, jusqu’à se sentir mal. “Je sais que je vais me dégoûter, mais je le fais quand même. Comme si je n’avais pas le droit d’aller bien”, dit-elle. Chez elle, cette compulsion se déclenche surtout après un moment agréable ou un succès professionnel. Il y a comme une dette invisible à solder. La nourriture devient l’instrument d’un rétablissement interne : elle efface la joie, elle neutralise la satisfaction, elle remet Sophie à sa “place”.

La culpabilité inconsciente comme moteur

Ces comportements sont rarement déclenchés par la faim, mais par une tension psychique liée à une faute non identifiée. Il peut s’agir d’un mot mal placé, d’un désir jugé inacceptable, d’une agressivité rentrée. L’individu ne peut pas s’autoriser à penser ce qui le traverse. Il ne peut que le faire payer à son propre corps. La nourriture, ici, n’est qu’un vecteur. Elle permet de se salir, de s’écraser, de se punir sans témoin. Cette logique s’installe souvent chez ceux qui ont appris que le bonheur se paie, ou que le désir entraîne inévitablement une sanction.

Manger pour annuler l’existence de soi

Au-delà de la simple autopunition, certains épisodes alimentaires destructeurs traduisent un désir plus profond de disparition symbolique. Manger devient alors une manière de s’effacer, de se diluer, de se rendre invisible. Dans l’acte compulsif, il n’y a pas seulement une volonté de punir le corps, mais de l’empêcher d’exister comme sujet. Plus le corps est rempli, plus il devient opaque, illisible, silencieux. Ce geste ne cherche plus la satiété, mais l’anesthésie. C’est une manière de dire : je ne mérite pas d’être léger, vivant, désirant.

Réhabiliter le droit d’aller bien

Pour dénouer cette dynamique, il ne suffit pas de contrôler l’alimentation. Il faut travailler en profondeur la représentation de soi, du plaisir, et du droit à la satisfaction. La question centrale devient : pourquoi ne puis-je pas me laisser aller à ce qui me fait du bien sans me punir ensuite ? Revenir à cette question, en psychothérapie ou par une écoute intérieure sincère, permet peu à peu de rompre avec le cycle de l’auto-sabotage. Manger peut redevenir un acte de vie, et non une scène de sanction.

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