Retrouver le goût de manger : quand l’alimentation redevient un plaisir

Dans un quotidien rythmé par les impératifs, les repas deviennent parfois des parenthèses expédiées ou des champs de lutte intérieure. Trop gras, trop sucré, pas assez sain, trop vite mangé : chaque bouchée semble devoir passer le filtre d’un jugement. Mais il existe une autre voie, plus discrète, plus intime. Celle d’un retour au goût. Non pas le goût comme performance culinaire, mais comme sensation pleine, incarnée, vivante. Et si manger redevenait un acte de présence plutôt qu’un exercice de maîtrise ?
Quand manger devient une tâche mentale
Pour beaucoup, l’alimentation est devenue un terrain saturé de normes. Il faut bien manger, intelligemment, modérément, idéalement. Le plaisir est souvent relégué derrière la performance ou la peur. Certains n’osent plus écouter leur appétit, d’autres s’en détachent complètement. Le repas n’est plus un moment de vie mais une opération à réussir ou à surveiller. Cette désincarnation progressive coupe du corps, de ses signaux, et surtout… du goût lui-même.
Le goût comme expérience de présence
Retrouver le goût, ce n’est pas forcément réinventer ses recettes : c’est d’abord ralentir, sentir, laisser une bouchée exister. C’est aussi accepter que le plaisir sensoriel soit une source légitime de satisfaction. Le goût ne se résume pas à la langue, il engage toute une mémoire : odeurs, textures, images, évocations. En réhabilitant ce plaisir fondamental, on ne “lâche pas prise” : on revient au vivant. Goûter, c’est ressentir. Et ressentir, c’est être là.
L’exemple d’Emma, réconciliée avec ses sensations
Emma, 36 ans, a longtemps eu une relation contrôlée à la nourriture. Après plusieurs années de régimes et d’injonctions contradictoires, elle s’est aperçue qu’elle ne ressentait plus rien en mangeant. Elle savait ce qu’il “fallait” faire, mais avait perdu le lien au plaisir. En thérapie, elle a réappris à s’écouter. Elle s’est mise à déguster lentement, à fermer les yeux, à sentir la chaleur, la consistance, les saveurs simples. « J’ai eu l’impression de revivre, dit-elle. C’était moi, là, en train de manger, pas une version idéalisée de moi. »
Manger, c’est vivre
Retrouver le goût, c’est redonner au repas une fonction vivante. Pas seulement se nourrir, ni s’anesthésier, mais s’autoriser à habiter l’instant. Il ne s’agit pas de tout maîtriser ni de se méfier de chaque excès. Il s’agit de ressentir ce que l’on fait. C’est une démarche modeste, mais puissante : un apaisement progressif de la relation au corps, un réinvestissement de la sensation, une réconciliation avec une part de soi souvent négligée. Manger peut redevenir un lieu d’existence.