Psychologie

Certaines personnes prennent régulièrement rendez-vous chez leur médecin généraliste, sans réelle urgence, ni maladie chronique avérée. Une douleur légère, une inquiétude floue, un inconfort passager peuvent suffire à initier la démarche. Ce qui motive la visite dépasse souvent la plainte médicale. Il s’agit moins de soigner un symptôme que de maintenir un lien, de retrouver une figure rassurante dans un monde perçu comme incertain. Derrière cette fidélité apparente se cache parfois une peur plus archaïque : celle d’être oublié, de ne plus exister dans le regard de l’autre.

La répétition comme tentative de continuité

Dans un environnement affectif instable ou dans des parcours marqués par la discontinuité, la consultation régulière prend une valeur symbolique. Le cabinet devient un repère. Revenir, c’est préserver une trace, confirmer que quelqu’un vous reconnaît encore. Il n’est pas rare que ces consultations correspondent à des dates-clés, à des moments de vulnérabilité saisonnière ou de solitude accrue. Le symptôme médical devient alors l’argument acceptable pour accéder à une relation sécurisante, sans devoir en assumer consciemment la dimension affective.

L’exemple de Julien, 35 ans, et son besoin de réassurance

Julien consulte son médecin tous les deux mois, parfois plus. Il évoque des douleurs gastriques, des troubles du sommeil, des épisodes de fatigue. Chaque consultation se conclut sur un échange rapide, une ordonnance modérée, mais Julien repart soulagé. Il explique que ces rendez-vous l’aident à “se recentrer”. En explorant son histoire, il apparaît qu’il a connu une enfance instable, avec des figures parentales changeantes et peu contenantes. Pour lui, le médecin représente la constance. Ce n’est pas tant le soin qui le soutient, que la présence assurée d’une personne fiable, régulièrement disponible.

Le médecin comme témoin stable de l’existence

La fonction du généraliste dépasse ici celle du soignant. Il devient le dépositaire d’un fragment d’identité, un témoin discret de l’évolution de la personne. Pour certains patients, cette stabilité relationnelle a plus de valeur que les réponses médicales. Elle garantit une forme de continuité symbolique. Dans une société où les liens s’effilochent et les repères se déplacent, la régularité du rendez-vous médical devient une manière de s’inscrire quelque part, de se faire trace dans la mémoire d’un autre.

Une demande relationnelle sous couvert de symptôme

Cette dynamique est souvent inconsciente. Le patient ne “feint” pas, il ne manipule pas. Il investit un espace médical pour contenir une inquiétude plus vaste, plus diffuse, qui ne trouve pas d’autre lieu pour se dire. Ce que l’on prend pour une dépendance médicale peut relever d’un besoin fondamental de reconnaissance. Certains symptômes n’en sont pas vraiment : ce sont des appels. Et tant que la société n’offre pas d’espace clair pour exprimer ce type de besoin, le cabinet médical reste un abri symbolique.

De la plainte à la place

Accueillir ce mouvement ne signifie pas le renforcer indéfiniment. Mais entendre que la fidélité du patient est aussi une demande d’ancrage peut changer le regard que l’on porte sur la répétition. Le symptôme devient secondaire face à ce qui se joue dans l’adresse. Être vu régulièrement, même brièvement, même silencieusement, suffit parfois à éviter la décompensation. Le médecin devient alors moins un soignant qu’un témoin, une figure discrète qui maintient le sujet dans une place stable. Et cela aussi, c’est une forme de soin.

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