S’auto-coacher pour éviter de ressentir ?

Être son propre coach : cette idée séduit, rassure, valorise. Elle donne l’impression d’autonomie, de maîtrise, d’avancée constante. Mais derrière ce rapport actif à soi peut se cacher un évitement émotionnel, une manière de contourner la vie intérieure au nom de la performance. Quand le coaching de soi devient un réflexe permanent, le sujet ne s’écoute plus : il s’administre.
Une logique d’optimisation émotionnelle
Dans le prolongement du développement personnel, l’auto-coaching propose de piloter son état mental : réorienter ses pensées, reconfigurer ses croyances, maîtriser ses réactions. Le modèle est celui d’un soi perfectible, rationnel, structuré. Il faut analyser ses blocages, trouver les bons leviers, reformuler ses pensées. Le vécu est disséqué, stratégiquement requalifié. Mais dans ce rapport utilitaire à soi, que devient l’expérience brute, non transformée ?
Ressentir, un luxe ou une menace ?
Pour certaines personnes, ressentir sans transformer immédiatement est insupportable. La tristesse est vite analysée, la colère recadrée, la peur relativisée. Le vécu n’est plus habité, il est corrigé. Cette posture rassure : elle évite le débordement, la perte de contrôle. Mais elle installe une distance chronique avec le monde intérieur. Le sujet n’entre plus dans ses émotions, il les traite. Cette technicisation du ressenti ne calme pas le trouble : elle le déplace en fatigue, en tensions, en vide affectif.
L’exemple de Mathieu, 45 ans
Mathieu, cadre dans un cabinet de conseil, pratique l’auto-coaching depuis plusieurs années. Dès qu’il ressent un inconfort, il applique une “grille de lecture” : quelle croyance limitante ? quel besoin insatisfait ? Ce fonctionnement l’aide à rester performant, mais un jour, il s’effondre en séance sans comprendre pourquoi. Il réalise qu’il n’a pas pleuré depuis plus de dix ans. Sa parole est fluide, mais sans chair. Il ne ressent plus vraiment. L’émotion, chez lui, est immédiatement cadrée, domestiquée. Ce qu’il croyait être un progrès intérieur est en réalité une mise à distance de sa vulnérabilité.
Le piège d’un moi gestionnaire
S’auto-coacher devient problématique quand le moi prend toute la place. Il devient une sorte de manager intérieur, qui évalue, planifie, recadre. Or, la vie psychique ne se laisse pas diriger ainsi. Elle a besoin d’espaces de vacillement, d’errance, d’affects sans fonction immédiate. Le coaching de soi permanent peut assécher cette part vivante, l’ensevelir sous des objectifs. Le sujet avance, certes, mais vers où ? Et à quel prix ?
Réhabiliter le non-savoir émotionnel
Il ne s’agit pas d’opposer auto-coaching et exploration de soi, mais de réhabiliter un rapport moins technique à la vie intérieure. Accepter de ne pas comprendre tout de suite. De ne pas résoudre. De sentir sans outil. C’est dans ce non-savoir temporaire que naît parfois une parole plus vraie. Une parole qui ne cherche pas à optimiser l’émotion, mais à la traverser. Non pour être efficace, mais pour être présent.